Devenir des artisans de la résurrection !

Khristos anèsti ! Alithos anèsti !
Christ est ressuscité. Il est vraiment ressuscité…
Ce sont les mots et les exclamations qui parcourent la planète chrétienne aujourd’hui en ce jour de Pâques.
Nous fêtons la résurrection du Christ.
Et nous fêtons cela car c’est bien un événement extraordinaire… 

Mais attention, ne faisons pas, dans notre enthousiasme, de contresens… Et entendons bien que ce qui est extraordinaire, ce n’est pas qu’un corps se relève de la mort et revienne à la vie. Certes, cela, pour nous, ressort, encore et toujours, de l’incroyable et de l’ordre du merveilleux…

Et pourtant, ce mystère que nous célébrons aujourd’hui n’est pas une étrangeté pour des gens comme nous qui fréquentons les Écritures. Car si la Résurrection nous est familière, c’est bien parce que les évangiles ne cessent de nous y ramener..

Comme à une source, comme à une clarté fondatrice…

Souvenons-nous de  la fille de Jaïre, du  fils de la veuve de Naïn et de Lazare bien sûr…
Et puis du moment de la  mort de Jésus où, comme nous le rapporte l’Evangile ;  « Des tombeaux s’ouvrirent, et les corps de plusieurs saints qui étaient morts ressuscitèrent. »… Et rappelons nous, dans les Actes, quand Pierre relève Tabitha et que  Paul ressuscite Eutychus. Autant  d’échos qui nous disent que la Résurrection ne s’est pas arrêtée au seul  matin de Pâques, mais qu’elle  travaille l’histoire, non comme un miracle isolé, mais comme une véritable dynamique offerte à l’Église et à chaque croyant, comme vocation de relèvement.

Et pour que ce ne soit pas qu’un souvenir ou une exception, écoutons encore cette parole de Jésus, lorsqu’il envoie ses disciples : « Guérissez les malades, ressuscitez les morts, (..)  chassez les démons. »

Autrement dit Jésus nous montre que la Résurrection n’est pas un privilège réservé, mais un horizon confié, un possible ouvert dans l’aujourd’hui du monde, et qui, en nous, demande à devenir geste, parole, corps donné, vie relevée.

Et c’est bien la raison pour laquelle, dans son discours aux Corinthiens sur la nature de la résurrection, Paul insiste  sur quelque chose de très différent de ce que la plupart d’entre nous entendons habituellement… 

« S’il n’y a pas de résurrection de la mort, le Christ lui-même ne peut pas avoir été ressuscité »

Autrement dit, Paul nous dit bien que  la résurrection est un principe général de toute réalité. Si nous en doutons un tant soit peu alors nous doutons même du Christ. Et cette remarque de Paul est particulièrement interpellante puisque pour lui, le Christ ressuscité est le seul Jésus qu’il ait jamais connu… Ce qui fait de Paul un médiateur approprié pour nous, puisque le Christ ressuscité omniprésent dans nos vies, est, pour nous également, le seul Jésus que nous aussi nous connaissons…

Alors oui, Christ est ressuscité. Il est vraiment ressuscité…
Et c’est effectivement extraordinaire de le fêter en cette journée…

Mais avant de parler de cet extraordinaire, retenons que curieusement, le Ressuscité qui nous transporte de joie en ce jour de fête, resplendit moins que lors de sa transfiguration au mont Thabor. Il n’a même plus son charisme d’avant puisque Marie Madeleine le prend d’abord pour un simple jardinier, comme plus tard les disciples d’Emmaüs vont le prendre pour le plus ignare des habitants de Jérusalem, et, les Apôtres… pour une sorte de pêcheur à la retraite sur les bords du lac de Tibériade…

Et, hormis un filet de poissons plein à craquer et une ascension à propos de laquelle deux hommes en blanc refroidissent l’assistance en lançant : « Pourquoi restez-vous ainsi à regarder le ciel ? » le Ressuscité que nous acclamons en ce jour n’accomplit pas de miracles…

Et pourtant l’extraordinaire, c’est que le miracle est bien là. Le miracle est bien là…
Dans la rencontre du Ressuscité avec Marie-Madeleine. Une rencontre qui nous annonce une expérience que chacun de nous peut faire, et surtout que nous devons faire si nous voulons satisfaire notre soif de vivre l’Évangile.
Jésus ressuscité ne se cache pas à Marie-Madeleine. Il ne s’est pas déguisé en jardinier.  Elle ne l’a simplement pas reconnu parce qu’elle est trop préoccupée à le chercher là où elle pensait pouvoir s’emparer de son corps.
Et cet épisode est important tant il scelle notre propre expérience et notre cheminement de foi.
Cet épisode  nous apprend que la rencontre avec le Ressuscité n’est pas réservée à quelques élus, mais s’offre à tous ceux qui, comme Marie-Madeleine, osent chercher au-delà des apparences et des attentes humaines.
Cette recherche nous transforme, car elle nous introduit dans une dynamique nouvelle, celle d’une relation vivante et transformatrice. C’est ainsi que se révèle le Christ : homme de rencontres et de relations durant sa vie en Jésus, désormais Christ ressuscité, il ne cesse de nous ouvrir à une autre façon d’exister…
Une manière nouvelle d’entrer dans le monde, d’en percevoir le tissu caché.
Car ce n’est pas seulement sa vie terrestre qui fut relation, mais bien la résurrection elle-même qui révèle que la relation est le fondement du réel dans lequel nous sommes.

Comme Paul le proclame aux Corinthiens, le Christ ressuscité n’est pas une exception miraculeuse, mais le premier d’une moisson, le commencement d’une humanité entièrement recréée.

 Le Ressuscité n’est pas un revenant, il est l’avant-goût d’un monde nouveau, où la mort n’a plus d’autorité, où les pouvoirs de séparation – le péché, la peur, la rivalité – sont désactivés à leur racine.

C’est pourquoi le Ressuscité ne revient pas pour prouver qu’il est Dieu, mais pour nous révéler qui est Dieu.


Et de surcroit  réalisons qu’il ne s’impose  pas comme un quelconque chef de clan ou chef de rite, mais qu’il apparaît dans l’intimité de gestes simples, au cœur de blessures humaines, dans la mémoire du pain partagé, dans l’appel d’un prénom prononcé avec tendresse. Alors – et c’est ce qui fait que cette journée de fête est encore plus grande – car ce n’est pas un Jésus “plus fort que la mort” que nous découvrons, mais un Dieu libre de toute violence, qui ne fait pas retour contre ceux qui l’ont frappé, mais ouvre un avenir à tous et même à ses bourreaux

Et cette révélation, frères et sœurs, comprenons bien ce qu’elle nous dit : cette révélation  renverse l’ordre du monde. Car si en Christ ressuscité,  le monde a déjà commencé à basculer vers sa transfiguration. Alors nos corps eux-mêmes ne sont plus prisonniers de la finitude que nous redoutons ; nos corps deviennent les temples d’une lumière à venir, porteurs d’un chant que le silence de Dieu garde en réserve.

Et si cela nous éclaire, alors nous comprenons mieux pourquoi nous sommes appelés à devenir des artisans de la Résurrection. Et même, selon les mots de Paul, des ambassadeurs  porteurs d’un monde nouveau déjà en germination.
C’est à dire des créateurs patients, façonnant dans l’argile de notre quotidien les formes humbles de la vie nouvelle.

Devenir des artisans de la Résurrection c’est devenir des batisseurs  discrets d’un Royaume qui pousse comme une semence dans la terre du quotidien.

Devenir des artisans de la Résurrection, c’est choisir, chaque jour, de désobéir aux logiques de mort qui règnent dans ce monde : la peur, le découragement, l’indifférence, la résignation. C’est tout simplement  refuser de croire que les ténèbres auront le dernier mot. 

Être artisan de la Résurrection, c’est choisir de bâtir du vivant là où règnent les ruines…
C’est apprendre à être une parole qui relève, une main qui soutient, une joie qui éclaire. C’est effectivement réaliser  que la Résurrection du Christ n’est pas seulement une victoire, mais le point de départ d’une création à poursuivre.

Et cette création, elle passe par chacun de nous, par nos gestes discrets, par nos fidélités invisibles, par cette manière d’être au monde qui révèle, doucement mais sûrement, que la mort a été vaincue, et que l’amour est plus fort.

Et comprenons, comprenons comme Paul l’a compris dans son aveuglement, comme Marie Madeleine dans sa condition et dans l’intimité d’un prénom murmuré, comme Saint Augustin dans sa débauche, et tant d’autres, et toute la multitude de témoins, que cela, nous ne pouvons le faire d’abord qu’en nous transformant nous-même, qu’en mettant dans notre esprit et dans notre cœur cette volonté ferme de nous libérer, de ne pas souffrir les frontières dans lesquelles nous sommes enfermés, de surgir de ces ténèbres, de devenir un espace illimité de lumière et d’amour où tous ceux que la vie met sur notre route se sentiront accueillis et, à travers nous, conviés et appelés, à leur tour, à rencontrer le Christ Ressuscité.

Quelle joie ! Oui, quelle joie si Pâques est cela : non pas un souvenir figé dans le marbre de la tradition, mais une ouverture, une brèche lumineuse dans nos existences grises.
Quelle joie si Pâques nous introduit, non dans une émotion passagère d’un jour de printemps, mais dans la liberté véritable, la liberté du Christ, celle qui ne connaît plus ni chaînes, ni murs, ni fin.

Quelle joie, si Pâques nous permet encore, aujourd’hui, de reconnaître en Jésus le Prince de Vie, celui dont chaque souffle ressuscité traverse nos silences et éclaire nos nuits.

Quelle joie, si  Pâques nous appelle à devenir ce qu’il est, c’est à dire à lui ressembler dans la tendresse, dans la vérité, dans la capacité de relever l’autre, alors oui, la fête a un sens.

Et si chacun de nous, aujourd’hui, dans son humble coin de vie, là où il est et tel qu’il est,  s’ingénie à rendre la vie plus belle – en la clarifiant dans tout son être, comme on nettoie une source pour qu’elle retrouve sa transparence –
alors nous réalisons notre vocation.
Et pas seulement la nôtre, mais celle du monde entier, de cet univers que nous avons su maîtriser matériellement, mais que nous n’avons pas encore élevé au rang de sanctuaire, de témoignage visible de la Présence divine.

Et nous aussi, aujourd’hui, nous avons à devenir cela, à devenir transparents à Dieu,
à devenir des vitraux de lumière dans la chair de notre quotidien.

Et nous nous souvenons alors de l’appel de l’apôtre Paul :

« Glorifiez et exaltez, glorifiez et honorez Dieu dans votre corps »

Oui, dans notre corps : ce corps que nous croyons limité, fatigué, blessé, usé et que pourtant Dieu choisit pour y faire sa demeure.
Notre corps sanctifié par l’habitation du Très-Haut, notre corps, Temple du Seigneur, notre corps, appelé à ressusciter, à s’élever, à rejoindre dans sa danse de la création entière  le Seigneur de Pâques, dans l’immensité de l’éternel Amour.

Il n’y a aucun doute : c’est extraordinaire.

La Résurrection du Seigneur – que nous célébrons en ce jour  a peu à voir avec un miracle ancien, tant elle est  l’affirmation la plus évidente, la plus profonde, la plus émouvante, et la plus magnifique. de cette volonté éternelle du Christ  que tout en nous – jusqu’aux fibres de notre être, jusqu’aux limites de notre imagination soit vie, liberté, noblesse, grandeur, et joie.

C’est inouï.
Et oui, cela se fête !

Joyeuse Pâques à tous !!!
Amen

Pâques 2025

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