Diseurs de Dieu

Jean 10.27-30

Frères et sœurs

Le bon pasteur avec autour de lui ses brebis qui écoutent sa voix… Quelle belle image idyllique et un tant soit peu bucolique  qui va être décrite aujourd’hui dans bon nombre d’endroits … Pour autant, nous ne nous imaginons peut-être pas, à quel point, les quelques mots de Jésus  que nous venons d’entendre sont dérangeants pour ne pas dire « explosifs » . Si nous en doutons alors il faut avancer dans les versets suivants, pour voir que ceux qui étaient là, à écouter Jésus, « ramassèrent  nous dit l’Evangile des pierres pour le lapider. »… Autrement dit pour le massacrer…

L’Evangile d’aujourd’hui nous montre Jésus, dans ce lieu de prière qu’est le temple de Jerusalem. Il est entouré de croyants qui lui demandent, dans une sorte d’ultimatum, s’il est oui ou non le Christ, c’est à dire  le Messie tant attendu.


Nous serions bien avisés de réaliser que là, aujourd’hui, l’Évangile ne nous conte pas une histoire de bon pasteur avec de gentils moutons.  Au contraire, l’Evangile, nous  place face à un drame ancien et pourtant toujours actuel à savoir que  l’homme veut toujours littéralement posséder la Parole de Dieu.

Autour de Jésus, ceux qui l’écoutent ne veulent pas seulement entendre, ils veulent s’approprier, maîtriser, saisir ce qu’il dit, le plier à leurs attentes, le faire entrer dans leurs cadres à eux. Mais Jésus, encore une fois, dans une audace inouïe, au péril même de sa vie, déchire leurs illusions. En une phrase :  « Je leur donne la vie éternelle,  jamais elles ne périront, personne ne les arrachera de ma main. »

Et cela, pour ceux qui croyaient et qui croient encore et toujours tout savoir, pour ceux qui attendent, là, un Messie à leur mesure.. ces mots sont insupportables. Ils ne supportent pas que la vie éternelle soit un don souverain, hors de leur pouvoir, hors de leur mérite,  hors de leurs évaluations, hors de leurs cadres religieux. Et de surcroit, ils ne supportent pas que Jésus démontre son unité avec le Père.

Et dans cette incompréhension furieuse, ils prennent des pierres pour l’exécuter. Ce qui revient à dire qu’ils veulent tuer la Parole qu’ils ne peuvent contrôler.  Mais, Jésus, fidèle jusqu’au bout, ne se rétracte pas. Il continue à offrir, à appeler, à donner. Et même plus précisément, à ceux qui écoutent sa voix, à ceux qui se laissent saisir, il donne la vie sans fin, il donne l’indestructible sécurité d’être dans la main amoureuse  du Père.

Et c’est bien cette Parole libre et brûlante que nous sommes invités à écouter et à méditer  aujourd’hui, comme chaque fois que nous nos retrouvons autour des Ecritures quelle que soit l’occasion qui nous est donnée. Nous nous retrouvons non pour  capter la Parole , mais pour nous laisser capter par elle. Non pour l’utiliser, mais pour être traversés. Non pour l’expliquer, mais pour la recevoir.

Car il y a une chose que nous, nous les héritiers particuliers de la Reforme, devrions être attentif, c’est que lorsqu’on croit que l’on connaît la Parole de Dieu, lorsqu’on ose penser qu’on la possède, alors déjà elle s’échappe entre nos doigts. Elle ne devient pas seulement poussière : elle devient cendre froide, vide mortel, vestige d’une flamme éteinte. 

Depuis deux mille ans, l’histoire humaine hurle cette vérité pour ceux qui veulent l’entendre à savoir que 
chaque fois que des mains humaines ont voulu s’emparer de la Parole, l’enfermer dans une église, dans un dogme, dans une  constitution, dans un  traité ou calcul… chaque fois, la Parole a disparu. Sitôt que des groupes,  des prédicateurs ont revendiqué l’exclusivité sur la Parole, croyant pouvoir en faire un drapeau pour leur gloire ou leur sécurité, elle s’est retirée, comme d’ailleurs  la gloire de Dieu s’est retirée du Temple de Jérusalem, laissant derrière elle pierres mortes et rituels vides…
Non pas par faiblesse, mais par fidélité à sa propre nature : la Parole est Esprit et Vie. 

Elle ne se laisse pas dompter.
Elle est souffle — insaisissable.
Elle est feu — dévastateur.
Elle est liberté — irrésistible.
La Parole n’appartient à personne. Pas même à ceux qui la transmettent.
Elle surgit où elle veut. Elle traverse qui elle veut. Elle bouleverse ce qu’elle touche.

Elle n’entre pas dans nos projets : elle les renverse.
Elle ne confirme pas nos certitudes : elle les pulvérise.
Devant elle, nous ne pouvons qu’être qu’écoute et qu’ouverture.
Nous ne pouvons qu’être  qu’un cri : « Parle, Seigneur, ton serviteur écoute ! »

Tout autre rapport  est mensonge. Incontestablement, croire que l’on connaît déjà la Parole, croire qu’on la maîtrise,
c’est dresser des murs contre le vent de l’Esprit.
C’est ériger des digues contre la source jaillissante.
C’est bloquer l’appel incessant de Dieu à la conversion du cœur.


C’est, au fond, frères et soeurs, renier l’Évangile.

Car l’Évangile  c’est l’invitation permanente à marcher, en suivant la voix du berger, marcher là où nous n’avons jamais osé aller. Là où nous n’osons pas aller…


C’est ça être disciple.

« Mes brebis écoutent ma voix ; je les connais et elles me suivent » C’est à dire que le disciple  est celui qui écoute, qui  reçoit, qui consent à être bouleversé, déplacé. Être disciple, c’est entrer chaque jour, non dans un savoir plus grand, mais dans une écoute plus nue et dépouillée. C’est comprendre que la vie de foi n’est pas un patrimoine sécurisé, ni une identité prestigieuse que l’on porterait comme une médaille sur sa poitrine.
Ainsi, lorsque Jésus dit aujourd’hui :
« Mes brebis écoutent ma voix ; je les connais et elles me suivent »,
il ne décrit pas une religion du confort. Il ne promet pas la tranquillité d’une bergerie dorée remplit de moutons de Panurge. Il affirme avec une tranquille certitude le dynamisme brûlant de cet appel qui ne consiste pas à  contraindre les cœurs, mais de les attirer… non de les enchaîner, mais de les éveiller.

Entendons bien que c’est un appel vibrant à oser vivre…
À oser discerner la voix du Maître dans un monde saturé de mensonges, de balivernes, de coquecigrues.
À oser discerner la voix du Maître  contre toutes ces autres qui  nous promettent la facilité, la possession, la puissance, la réussite…. Oser le discernement de la Parole vivante, non au milieu de théories subtiles, mais au sein du combat intérieur. Ce qui revient à faire taire nos bavardages intérieurs, à laisser tomber nos discours ronflants, à cesser de remplir le silence  pour enfin entendre.

Pour enfin littéralement « obéir ». Non pas à être servile mais obéir c’est à dire ob-audire, bien entendre, sortir de ce malentendu trop souvent habituel  pour bien entendre la Parole. Pour bien entendre  ce silence qui parle, cette Présence qui respire, cette tendresse qui précède.

C’est inouïe, in-ouïe c’est à dire au delà de l’ouïe au delà de l’entendement, … C’est effectivement inouïe de réaliser que  cette écoute au delà de l’ordinaire  fait de chacun de nous un diseur de Dieu. 

Comprenons bien ce que cela signifie.

Chacun de nous ici présent est à même d’être un diseur de Dieu, c’est à dire un porteur du feu,  un prophète du Royaume qui vient… Etre un diseur de Dieu en écoutant  sa voix, c’est faire confiance non à une religion, non à une tradition humaine, mais à une Présence vivante  qui appelle et qui relève. Elle advient où elle veut, elle surprend qui elle veut, elle retourne, sans cesse les certitudes et crée des chemins dans les déserts les plus arides…

Etre diseur de Dieu c’est prendre conscience, au plus profond de nous que la Parole n’est pas récitation, mais qu’elle est semence. Elle n’est pas monument, elle est germe. Elle n’est pas relique, elle est sève vivante, irruption, création, retournement, naissance…

Et, dans tous les cas, et c’est bien pour cela que ceux du temple de Jérusalem d’alors et d’aujourd’hui encore,  ont trouvé et trouvent  les paroles de Jésus insupportables… Car, à sa façon il nous prévient de nous garder de tomber dans l’idolâtrie subtile d’un  texte… Car ce qui fait qu’une Écriture devient Parole, ce n’est pas son inscription dans la pierre ou un parchemin, ce n’est pas sa récitation sur les lèvres, ce n’est même pas sa possession matérielle dans nos bibliothèques bien rangées… C’est son incarnation dans une vie offerte, dans une existence livrée, dans des actes qui portent la brûlure de l’Esprit.

Comprenons bien que la Sola Scriptura, que nous brandissons comme étendard, n’a jamais eu pour objet de laisser entendre que notre Bible elle-même est la Parole. Notre Bible  est le témoin fidèle du chemin vers la Parole incarnée dans nos existences  Notre Bible  est ce vase fragile, pétri de mains humaines, ce vase qui contient, par  la grâce de l’Eternel, un feu qui le dépasse.

Ne confondons jamais le vase et le feu.
Ne confondons jamais la lettre morte et l’Esprit vivant.
Ne confondons jamais l’écho et la voix.

Alors, lorsque Jésus ajoute :
« Mon Père, qui me les a données, est plus grand que tous »,
il proclame une vérité qui renverse toutes nos prétentions humaines à savoir  que la fécondité de l’appel ne dépend jamais de nous.Elle ne dépend pas de nos habiletés à parler, à nous afficher, à communiquer, à se montrer. Elle ne dépend pas de notre rhétorique travaillée, ni de nos stratégies humaines, ni de nos talents d’orateurs, ni de nos capacités de persuasion.

Nous n’ouvrons aucun cœur.
Nous n’arrachons personne aux ténèbres.
Nous ne ramenons aucun égaré dans la bergerie par la seule force de nos discours et de nos faits.

C’est Dieu qui fait cela, c’est lui qui suscite. C’est l’Esprit de Dieu qui régénère.

Contentons nous de n’être que les humbles  serviteurs, Contentons nous de n’être que ceux qui sèment sans savoir où germera la graine, ceux qui parlent en tremblant, ceux qui avancent dans la nuit en tenant une lampe fragile. Notre force est  simplement dans le consentement à devenir une brèche, une ouverture, une faille où la lumière de Dieu pourra passer.

C’est accepter d’être une voix qui tremble, un corps qui s’use, un souffle qui faiblit, mais par lequel, parfois, à travers notre porosité, une étincelle divine jaillit sans même que nous en apercevions…  Car l’appel de Dieu est plus fort que toutes les barrières humaines.
Il traverse nos limites comme le feu traverse le bois sec.
Il soulève les pierres de nos résistances.
Il éveille les cœurs là où nous ne voyions que désert.

Alors nous aussi, frères et sœurs, ayons ce désir, cette passion, cette volonté d’aller au fond de nous pour devenir des diseurs de Dieu. Non  pas des spécialistes de la foi,  non pas des maîtres religieux pleins de certitudes, non pas  des orateurs brillants,, mais des témoins brûlants, consumés par un feu qu’ils n’ont pas allumé eux-mêmes.

Non pas des experts en moutons de Panurge, mais des frêles brebis confiantes,  guidées et portées par la voix du Berger.

Devenons  diseurs de Dieu c’est dire des voix humbles et libres par lesquelles, aujourd’hui encore, Dieu  murmure à notre monde égaré, tordu, blasé et perdu… Et entendons bien, une bonne fois pour toutes, que c’est sa main, et non la nôtre, qui éveille. C’est son amour, et non notre mérite, qui sauve. C’est sa Parole, et non notre discours, qui donne la vie éternelle.  

Ainsi que l’énonce la promesse de Jésus « Je donne à tous les diseurs de la Parole une vie qui traverse toutes les finitudes car rien ni personne ne pourra les séparer de mon amour ».

Amen

Publications similaires